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L’empreinte de la guerre d’Algérie sur les villes françaises

La guerre d’indépendance algérienne, qui coïncide avec une période charnière de l’histoire urbaine, a considérablement influencé le devenir des villes françaises. Métropolitiques explore le rôle du conflit dans leur genèse.


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La deuxième moitié des années 1950 est un moment charnière dans l’histoire des politiques urbaines françaises : c’est à ce moment que sont amorcées la rénovation urbaine, la résorption des bidonvilles et la construction des grands ensembles. Or ces politiques sont mises en place alors que le pays est en guerre – même si le conflit colonial en Algérie n’est jamais officiellement désigné comme tel. Les recherches récentes montrent que ce contexte de guerre fut déterminant dans l’orientation de ces politiques publiques, qui marquèrent durablement le visage et le peuplement des villes françaises, ainsi que les pratiques administratives dans la gestion de celles-ci. Au moment où l’on commémore le cinquantième anniversaire de la fin du conflit, ce sont ces origines algériennes des villes françaises, longtemps occultées par la séparation des champs de recherche entre études urbaines et histoire de la guerre d’Algérie, que Métropolitiques propose d’explorer dans ce dossier.

La guerre conduit à un important flux migratoire de l’Algérie vers la métropole, qui pose la question de l’accueil des populations. La fin du conflit impose à l’État de trouver des solutions pour accueillir les rapatriés, qui connaîtront un sort bien différent les uns des autres : si l’arrivée de 600 000 pieds-noirs en 1962 – qui contribua au reclassement de certaines villes françaises – suscita une intense mobilisation, une part importante des 90 000 harkis rapatriés fut longtemps cantonnée dans des territoires isolés. La guerre provoqua aussi l’augmentation des contingents de « Français musulmans d’Algérie » (ainsi que les désigne l’administration française depuis que le statut de 1945 leur donne la nationalité française) dont la présence sur le sol métropolitain inquiète les pouvoirs publics. Ils sont la cible de la politique d’enrôlement des deux grands partis indépendantistes rivaux – Front de libération nationale (FLN) et Mouvement national algérien (MNA). Leur contrôle constitue donc un enjeu policier important dans la guerre ; il s’appuie sur la maîtrise de leurs lieux de résidence, à la fois concentrés et ségrégués. Les territoires de l’habitat algérien en métropole deviennent ainsi l’objet de dispositifs spécifiques de la part des différentes forces en présence.

Pour l’administration française, ces stratégies visent tout à la fois à démanteler ce qui apparaît comme des bases arrière du FLN, à contrôler les populations et à les éduquer ou les « intégrer » à la vie métropolitaine. À ce triple objectif viennent répondre des politiques urbaines et des politiques de logement : la résorption des bidonvilles, la rénovation des quartiers anciens taudifiés, la création des cités de transit pour les familles, celle de foyers de travailleurs pour les migrants isolés, l’élaboration de règles de fait dans le peuplement des grands ensembles. Dans la mise en œuvre de ces politiques urbaines, l’impératif policier et le projet urbain et social sont intimement liés. L’histoire militaire rencontre, à ce moment, celle de l’urbanisme et celle des politiques sociales et crée les conditions de possibilité de la mise en œuvre de telles politiques, tout en les orientant.

Le conflit algérien explique aussi les continuités observables entre les pratiques coloniales et métropolitaines de contrôle des populations et de peuplement. Un des acquis importants de la recherche récente réside dans leur mise en évidence. La résorption des bidonvilles des villes coloniales et métropolitaines aurait ainsi une genèse commune, coloniale, qui remonterait notamment à des expériences des années 1930. Ces circulations des pratiques s’appuient sur des structures administratives inspirées les unes des autres, mais aussi sur la circulation des fonctionnaires coloniaux, recrutés en métropole en tant qu’experts des populations algériennes. Nombreux sont les responsables des politiques sociales, urbaines et de police en métropole, pendant et après la guerre, à avoir fait d’abord carrière dans l’administration coloniale. Les deux cas les plus emblématiques sont sans doute Maurice Papon, qui devient préfet de police de Paris en 1958, juste après avoir dirigé la préfecture de Constantine, et Paul Delouvrier, qui, avant de superviser, à partir de 1961, l’aménagement de la région parisienne (et la création des villes nouvelles), met en œuvre, comme délégué général du gouvernement en Algérie de 1958 à 1961, le Plan de Constantine (avec ses "nouveaux villages"), destiné à organiser, pendant la guerre, le développement de l’Algérie.

L’influence à long terme de la guerre d’indépendance algérienne sur les politiques urbaines métropolitaines est le deuxième grand acquis de la recherche récente. C’est d’abord parce que les bidonvilles sont peuplés d’Algériens que l’on entreprend de les raser et l’impératif policier oriente le relogement de leurs habitants. Les pratiques inventées alors s’imposent toutefois au-delà de la guerre pour le traitement des bidonvilles : la démolition des baraques portugaises de Champigny reprend ainsi de mêmes manières de faire. Dans la gestion du peuplement, on favorise pendant la guerre tour à tour concentration et dispersion. C’est ainsi que s’impose le quota maximal de population algérienne par ensemble de logement, notion ensuite pérennisée chez les bailleurs sociaux et généralisée à l’ensemble de la population immigrée. Les dispositifs mis en place pour reloger ces populations algériennes, cités de transit et foyers de travailleurs, qui obéissent à la volonté d’acculturation qui caractérise aussi les politiques coloniales de peuplement, perdurent également bien après la fin de la guerre. Ainsi les politiques de logement à destination des populations immigrées que nous connaissons aujourd’hui sont-elles fortement marquées par le contexte de leur genèse, celui de la guerre d’indépendance algérienne. Au moment où la mémoire du conflit se matérialise aussi dans les villes, avec la pose de plaques commémoratives et la rebaptisation de rues, il est utile de prendre la mesure de cet héritage.

Au sommaire de ce dossier :

Accueillir les rapatriés

Contrôler les populations et les territoires

Loger les Algériens... loger les immigrés

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Pour citer cet article :

Pierre Gilbert & Charlotte Vorms, « L’empreinte de la guerre d’Algérie sur les villes françaises », Métropolitiques, 15 février 2012. URL : https://metropolitiques.eu/L-empreinte-de-la-guerre-d-Algerie.html

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Revue soutenue par l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS

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