Les coopérations interentreprises connaissent un fort développement, en raison notamment des exigences croissantes en matière de flexibilité, de réactivité et d’innovation dans la conception des produits et des services. Les configurations relationnelles ainsi produites sont particulièrement variées. Les distances spatiales entre les partenaires peuvent être très différentes et les partenaires sont souvent éloignés voire très éloignés. Les besoins de communication sont alors satisfaits par une combinaison entre relations virtuelles et face-à-face. Ils impliquent des usages différenciés des technologies de l’information et de la communication (TIC) et des déplacements physiques plus ou moins fréquents.
Une enquête conduite en 2006 par le réseau M@rsouin auprès d’un échantillon représentatif de petites et moyennes entreprises (PME) bretonnes permet de préciser le rôle de la distance spatiale dans le choix du partenaire principal (fournisseur ou client), d’expliciter le lien entre localisation des partenaires et poids relatif des TIC et du face-à-face dans les relations. La puissance publique pourrait alors encourager les entreprises à limiter les déplacements liés à ce type de relation (Aguiléra et Lethiais 2010). Les données montrent que la distance ne constitue pas un frein aux relations interentreprises, d’autres formes de proximité ayant un rôle déterminant. Des effets de complémentarité et de substitution apparaissent entre les différents modes de communication : face-à-face, outils traditionnels (téléphone, courrier et fax) et technologies plus avancées (courriel, visioconférence, outils de travail collaboratif ou de gestion des collaborations (OGC) [1]). Si la marge de manœuvre pour diminuer la part de la mobilité dans les relations interentreprises est limitée pour les relations extra-régionales, elle est potentiellement importante à l’échelle régionale. Cette réduction de la mobilité passe, notamment, par des politiques favorisant une meilleure maîtrise des technologies avancées de communication à distance, et plus spécifiquement de l’Internet.
La distance ne constitue pas un frein aux relations interentreprises
Beaucoup de travaux menés sur des territoires très différents font le constat que les relations interentreprises engagent fréquemment des partenaires éloignés (Bathelt et al. 2004 ; Ferru 2010). Ils remettent en cause le lien souvent fait entre proximité géographique des entreprises et intensité des relations. En réalité, d’autres formes de proximité de nature non géographique, prévalent dans le choix d’un partenaire (Rallet et Torre 2004). L’enquête bretonne confirme cette analyse (tableau 1).
La majorité des firmes de notre échantillon font état d’une relation principale impliquant un partenaire situé hors de la région Bretagne, plutôt à une échelle nationale qu’à l’échelle internationale. Pour les PME interrogées, le choix du partenaire principal est plus souvent dicté par l’existence d’une proximité de nature relationnelle (au sens de l’appartenance à un réseau relationnel) que par la proximité géographique stricto sensu. Dans une moindre mesure, la proximité organisationnelle (appartenance au même groupe) entre aussi en ligne de compte dans le choix du partenaire. Ce constat demeure valable lorsque les partenaires sont effectivement localisés à proximité : les entreprises physiquement proches de leur partenaire (même région, voire même agglomération) n’identifient pas nécessairement la proximité géographique comme un élément déterminant dans le choix de ce partenaire.
Beaucoup | |||
Un peu | |||
Pas du tout | |||
Total | |||
Réponses |
Source : Enquête M@rsouin, 2006. En pourcentage des entreprises.
Des relations de complémentarité et de substitution entre les modes de communication
Les entreprises interrogées placent en tête les technologies traditionnelles (téléphone, courrier, fax) comme outil principal de communication avec leur partenaire (tableau 2). En seconde position, les rencontres en face-à-face et les technologies avancées (courriel, visioconférence, outils collaboratifs) font jeu égal. Toutefois, parmi ces technologies, l’utilisation du courriel est nettement plus fréquente que celle de la visioconférence et des outils collaboratifs, les entreprises interrogées étant de fait peu équipées en la matière.
Outil principal | |||
Outil secondaire | |||
Outil le moins important | |||
N’utilise pas cet outil | |||
Total |
Source : Enquête M@rsouin, 2006. En pourcentage des entreprises.
La fréquence d’usage des différents outils (tableau 3) permet de préciser plusieurs points. Le téléphone, le courrier et le courriel sont le plus souvent des outils de communication de fréquence au moins hebdomadaire avec le partenaire et souvent quotidienne : près de la moitié des entreprises déclarent les utiliser tous les jours pour communiquer avec leur partenaire. Le franchissement de la distance reste par contre un obstacle au face-à-face qui fait à l’évidence l’objet de rationalisations : dans les deux tiers des cas les rencontres physiques sont au mieux mensuelles.
Quotid. | |||||||
Hebdo. | |||||||
Mensuelle | |||||||
Rarement | |||||||
Jamais | |||||||
Total |
Source : Enquête M@rsouin, 2006. En pourcentage des entreprises.
Les technologies traditionnelles et les rencontres en face-à-face sont complémentaires, conformément aux enseignements de nombreux travaux antérieurs relatifs aux entreprises ou aux particuliers (en particulier Aguiléra et al. 2012 ; Charlot et Duranton 2006 ; Claisse et Rowe 1993) : plus les partenaires communiquent par téléphone, courrier et fax, plus ils ont tendance à se voir. Les outils avancés sont à l’inverse dans une relation de substitution avec les outils traditionnels : l’envoi de courriels diminue les contacts par téléphone, courrier et fax. La relation entre le face-à-face et outils avancés reste quant à elle difficile à établir.
Les déplacements ne sont rationalisés qu’au-delà de l’échelle régionale
La part relative des différents modes de communication (face-à-face, outils traditionnels et outils avancés) dans les échanges varie selon la distance spatiale entre les partenaires, le niveau de complexité des échanges et la maîtrise des TIC.
La distance spatiale tend à augmenter le coût de déplacement (financier et en termes de temps) et donc logiquement à diminuer le recours aux rencontres physiques. Corrélativement, cela accroît l’usage des TIC (Le Goff-Pronost et Lethiais 2008). Toutefois, l’éloignement entre les partenaires n’influence la fréquence relative du face-à-face que lorsque les relations interentreprises s’inscrivent à l’intérieur de l’espace régional. En effet, la distance spatiale n’a plus d’effet au-delà du seuil régional : au-delà d’une certaine distance, la rationalisation des déplacements n’est pas plus prononcée pour les entreprises dont le partenaire est en France que pour celles dont il est à l’étranger. En revanche, à l’échelle régionale, plus les partenaires sont géographiquement proches et plus le poids des rencontres physiques, donc des déplacements, augmente.
Par ailleurs, la part du face-à-face s’élève avec le niveau de complexité des connaissances requises par la relation ; cette complexité rend difficile la transmission à distance y compris par des outils de communication élaborés. À nouveau, les résultats diffèrent selon l’échelle (intra- ou inter-régionale) de la relation et donc selon la distance spatiale entre les partenaires. L’éloignement des partenaires limite les rencontres physiques aux interactions les plus complexes, tandis que lorsque les interlocuteurs sont proches (dans la même région), la nature des connaissances influence moins fortement la fréquence relative du face-à-face, du fait là encore que la mobilité est peu coûteuse. Dans ce cas de figure, les partenaires ne font pas autant d’effort pour codifier leurs échanges que lorsqu’ils sont très éloignés.
Enfin, l’équipement et la maîtrise des TIC contribuent à augmenter la part des TIC dans les échanges. La part relative des déplacements diminue avec le fait que l’entreprise soit connectée à l’Internet depuis au moins trois ans. De surcroît, le fait que plus de la moitié des salariés utilisent un ordinateur au moins une fois par semaine fait baisser la part relative du face-à-face dans les échanges. Les capacités de codification des connaissances dans l’entreprise sont donc favorables à la limitation des rencontres physiques, et augmentent corrélativement l’usage des TIC, y compris lorsque les relations s’inscrivent à l’intérieur de l’espace régional.
Dans le cas de relations au sein de la même région, c’est ainsi plus l’appropriation des TIC et la capacité à codifier les connaissances échangées que la nature des connaissances échangées qui conduisent les entreprises à rationaliser leurs déplacements professionnels en leur substituant d’autres modes de communication. À l’inverse, les entreprises ayant des relations avec des partenaires situés en dehors de la région maîtrisent déjà mieux les outils qui leur permettent de communiquer à distance et donc de rationaliser leur mobilité. Elles réservent leurs rencontres en face-à-face à des échanges qui rendent le déplacement indispensable parce qu’elles s’appuient sur des connaissances difficilement transmissibles à distance. La rationalisation des déplacements dans les relations interentreprises passe donc par une meilleure maîtrise des technologies avancées de communication à distance.
Bibliographie
- Aguiléra, A., Guillot, C. et Rallet, A. 2012. « Mobile ICTs and Physical Mobility : Review and Research Agenda », Transportation Research Part A, n° 46, p. 664-672.
- Aguiléra, A. et Lethiais, V. 2011. « Transmission des connaissances dans les relations de coopération interentreprises : TIC versus face-à-face », Revue d’économie régionale et urbaine, n° 2, p. 269-294.
- Bathelt, H., Malmberg, A. et Maskell, P. 2004. « Clusters and knowledge : local buzz, global pipelines and the process of knowledge creation », Progress in Human Geography, vol. 28, n° 1, p. 31-56.
- Charlot, S. et Duranton, G. 2006. « Cities and workplace communication. Some quantitative French evidence », Urban Studies, vol. 43, n° 8, p. 1365-1394.
- Claisse, G. et Rowe, F. 1993. « Domestic telephone habits and daily mobility », Transportation Research Part A, vol. 27, n° 4, p. 277-289.
- Ferru, M. 2010. « La géographie des collaborations science-industrie : poids et impact des modalités de mise en relation », Économie appliquée, vol. 63, n° 1, p. 105-134.
- Le Goff-Pronost, M. et Lethiais, V. 2008. « Usages des TIC et proximité géographique : une analyse empirique », Revue d’économie régionale et urbaine, n° 1, p. 69-86.
- Rallet, A. et Torre, A. 2004. « Proximité et localisation », Économie rurale, n° 280, p. 25-41.