Parmi les causes de faiblesse de la compétitivité de l’économie française avancées dans le rapport Gallois (2012) figurent la mauvaise articulation entre recherche, innovation et industrie et l’absence de solidarité au sein des filières industrielles, aggravée par des rapports distendus entre grandes entreprises et PME.
Les différentes régions françaises ne sont toutefois pas touchées avec la même intensité par ces faiblesses organisationnelles du système productif. L’Île-de-France est sans conteste la première concernée : le défaut de coordination entre les entreprises et entre les différents acteurs de la sphère technico-productive y est plus exacerbé et plus lourd de conséquences que dans le reste du territoire. C’est un enjeu qui dépasse le seul territoire de l’Île-de-France.
Les projets lancés dans le cadre du Grand Paris l’ont récemment rappelé : l’efficacité du système technico-productif francilien est l’un des piliers de la compétitivité française. Première région industrielle française par sa valeur ajoutée (25 % des entreprises du pays), par sa recherche (40 % de la R&D française [1]) et, plus encore, par les pouvoirs économiques concentrés dans les sièges des grands groupes qui y sont localisés (33 % des investissements internationaux en 2012 selon l’Agence française pour les investissements internationaux), elle représente un intérêt pour l’ensemble du pays. L’économie métropolitaine concentre de grandes entreprises orientées vers le développement et la production, fortement connectées à la sphère financière et aux acteurs de la science et des techniques (Combreau, 2007). Elle assure à la fois un rayonnement international et des mécanismes redistributifs structurants pour la France.
Un défaut de coordination exacerbé
Ce système fait toutefois preuve de fragilité (Carré et Levratto 2012). Comme le rappelle la Stratégie régionale de développement économique et d’innovation (Région Île-de-France 2011), les atouts économiques, les effets d’agglomération et les capacités d’innovation de la région sont notoirement sous-mobilisés (ibid., p. 7). Cela conduit à un faible niveau d’innovation, compte tenu des ressources technologiques de la région (plus de 145 000 personnels de recherche et près de 4 900 dépôts de brevets en 2009) et des dotations financières mobilisées (sur les 4,4 milliards d’euros de dépenses du conseil régional en 2010, près de 1,9 concernaient l’investissement [2]).
Les PME franciliennes, notamment, sont moins visibles, moins aidées et moins insérées dans des relations de coopération que ne le sont leurs homologues de province (Claudel et al. 2010). Deux explications peuvent être apportées.
La première tient au nombre d’acteurs intervenant en soutien à l’activité économique (centres techniques, organismes de conseil, réseaux d’acteurs, etc.). Cela crée un maquis institutionnel, générateur de coûts d’accès et de traitement de l’information. Pour profiter de l’offre de ressources régionales, les entreprises doivent déployer des coûts de fonctionnement et de coordination qui sont hors de portée de nombre d’entre elles.
La seconde provient de l’extrême hétérogénéité du milieu métropolitain francilien, où coexistent de grands groupes et une myriade de très petites entités de production et de vente. Tous bénéficient de manière indifférenciée des structures support (Chambres de commerce et d’industrie (CCI), organisations professionnelles, institutions publiques, Pôle emploi, etc.). Au final, les entreprises bénéficient moins qu’ailleurs des dispositifs d’accompagnement : les structures de soutien (par exemple, les conseillers techniques des CCI) et les services publics territorialisés (comme ceux des services décentralisés de l’État) sont largement sous-dimensionnés au regard du parc d’entreprises.
Favoriser l’agglomération et la coopération…
La nécessité de « faire travailler les acteurs ensemble » (rapport Gallois, 2012, p. 29) et de développer les solidarités territoriales (ibid., p. 13) au-delà des relations marchandes est martelée par nombre de rapports publics. Les derniers en date proviennent de la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires [3] dirigée par le sénateur Alain Chatillon (2011) et du groupe de travail dirigé par le sénateur Bruno Retailleau (2010) sur les entreprises de taille intermédiaire. Ce devrait être un enjeu majeur pour l’Île-de-France.
Les politiques systémiques et les politiques de réseaux, au premier rang desquelles les Pôles de compétitivité lancés en 2004, offrent des réponses à ce besoin. Les ressources existent, en Île-de-France, pour accélérer les processus d’innovation technologique et organisationnelle en misant sur leurs aspects sociétaux et environnementaux (réseau Teddif [4], Agenda 21, schéma régional de cohérence écologique). De ces projets économiques doivent émerger des « filières d’excellence », vues comme « une opportunité pour conforter les secteurs d’activités traditionnels (commerce, BTP, artisanat, etc.) qui sont fortement créateurs de richesses et d’emplois », comme le souligne le rapport Valache de la CCI de Paris (2012).
La mobilisation des solidarités locales inspire également le développement et la spécialisation de territoires stratégiques. Certains sont issus de la vingtaine de contrats de développement territorial (CDT) en discussion dans le cadre du Grand Paris. Comme le rappelaient récemment les participants à un séminaire sur la spécialisation économique des territoires franciliens [5], cette concentration spécialisée est une condition nécessaire à l’obtention de gains d’efficacité économique à l’échelle de la région et de ses différents sous-ensembles (Melo et al. 2009). Elle est réputée favoriser les échanges entre entreprises, la mutualisation de services, la construction de compétences, et ainsi susciter des effets d’entraînement favorables à la compétitivité des entreprises et de la région dans son ensemble.
… par la reconnaissance et la clarification du rôle des intercommunalités
Coopération et proximité spatiale ne vont cependant pas obligatoirement de pair. Bien sûr, la localisation des différents partenaires potentiels (entreprises, centres de recherche, lieux de formation, etc.) au sein d’un même territoire peut faciliter le développement de coopérations. Elle n’induit cependant pas mécaniquement des relations entre entreprises. Au contraire, une trop forte densité d’acteurs peut gêner l’établissement de relations de coopération (Pecqueur, Zimmerman 2004).
Dans ce contexte, l’impulsion d’une animation stratégique des territoires peut s’avérer cruciale. Il s’agit non seulement de soutenir l’émergence de filières, pôles ou systèmes productifs locaux afin de les consolider, mais aussi de valoriser les relations de proximité. Améliorer la lisibilité du territoire permet de transformer ces ressources dormantes en facteurs d’attractivité. Ils renforcent « l’écosystème de croissance » [6] par une densification des relations entre ses composantes : entreprises, centres de formation, organismes de recherche, clients, fournisseurs, apporteurs de capitaux, etc.
La montée en puissance des intercommunalités, dotées de compétences en matière économique, peut favoriser cette dynamique. Malgré les difficultés de leur mise en place, les intercommunalités sont fondées sur l’adhésion à des projets et objectifs communs et sur une géométrie administrative souple : elles peuvent devenir un niveau d’action pertinent en raison de leur capacité à relier les enjeux régionaux, technologiques notamment, au fonctionnement des petites et moyennes entreprises, cœur de leur intervention économique. Leur périmètre géographique circonscrit et les spécialisations productives sur lesquelles elles s’appuient leur permettent également de préserver une proximité suffisante entre entreprises. Ces structures peuvent enfin également participer à la constitution de réseaux, favoriser la coopération ou encore s’attacher à consolider des spécialisations locales. Ainsi, une ligne de partage semble se dessiner : à la région ou à la métropole, l’affirmation de la pertinence et de l’efficacité des politiques de réseaux et de spécialisation locale ; aux structures intercommunales, leur mise en œuvre.
La communauté d’agglomération Plaine Commune constitue un exemple de la manière dont la coopération intercommunale peut mettre en cohérence positionnement géographique et offre d’activités [7]. Depuis une dizaine d’années, le développement de ce bassin de vie et d’activités passe par des filières stratégiques (audiovisuel, banque–assurance, logistique urbaine, éco-industries, économie sociale et solidaire) construites en prenant pour base les grandes entreprises (sièges et établissements), le pôle universitaire (Paris‑8 et Paris‑13), les grands équipements nationaux et internationaux et le tissu de PME. La vallée scientifique de la Bièvre, territoire de projets situé dans les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne, constitue un autre exemple des complémentarités entre villes et intercommunalités. Le contrat de développement territorial Campus sciences et santé [8] offre un autre modèle de partenariats intercommunaux visant à articuler d’un pôle d’innovation et des dynamiques urbaines. Les stratégies territorialisées, dont celles autour du Vivant et la ville, de la communauté d’agglomération de Versailles Grand Parc, sont également représentatives de telles actions.
Les structures intercommunales qui portent les projets territoriaux ont pour caractéristique commune d’avoir été récemment créées. C’est, par exemple, le cas des communautés d’agglomération du Mont Valérien ou d’Est Ensemble. Certaines ont déjà engagé des travaux en commun (SCOT ou CDT) [9], mais un grand nombre d’opérations sont soit encore en phase de conception, soit trop récemment mises en œuvre pour en observer les effets. Dans un contexte de recherche d’efficacité de l’action économique et de rationalisation des niveaux d’intervention, les intercommunalités ont permis d’initier et de renforcer des relations de proximité et de coopération entre les différents acteurs locaux. En cela, elles constituent déjà un actif précieux. Elles risquent, pourtant, d’être mises à mal par la loi portant création de la métropole du Grand Paris.
Le projet de loi voté à l’Assemblée nationale le 19 juillet 2013 [10] implique, en effet, de supprimer les seize intercommunalités des trois départements de la petite couronne. Afin de faire le lien entre les communes et la métropole du Grand Paris, elle crée des « conseils de territoire ». Ceux-ci récupèrent certes une bonne partie des anciennes compétences des EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), mais ils perdent leur rôle politique.
Cette suppression des intercommunalités vient frontalement remettre en cause les stratégies économiques basées sur les incitations à la coopération et à la constitution de réseaux. On imagine mal, en effet, les futurs « conseils de territoire » disposer de la même autorité et des mêmes ressources pour jouer ce rôle de partenaire pivot auprès des différents acteurs économiques et, en premier lieu, les petites entreprises de l’industrie et de la technologie. C’est donc le principe même de l’action de coordination économique basée sur cette logique de proximité inscrite au sein de ces EPCI qui risque d’être remis en question et, à travers lui, l’une des stratégies visant à renforcer l’efficacité globale de la métropole et de la région.
Bibliographie
- Carré, D. et Levratto, N. 2012. « Le territoire francilien : forces structurelles et fragilités tendancielles » in Gillio, N. et Ravalet, E., Comprendre l’économie des territoires, Lyon : CERTU.
- Chambre de commerce et d’industrie de Paris. 2012. La réussite économique du Grand Paris. Les quatre priorités des entreprises, rapporteur : Michel Valache, 5 juillet, p. 8, Paris : Chambre de commerce et d’industrie de Paris.
- Combreau, R. 2007. Le Renouvellement du tissu productif en Île-de-France. Une approche par faisceaux, Paris : IAURIF.
- Chatillon, A. 2011. Rapport d’information sur la désindustrialisation des territoires, rapport n° 403 du Sénat, Paris : Sénat, p. 339.
- Claudel, A., Girard, P., James, N., Satger, O., Prévot, M. et Chaty, S. 2010. « La machine à innover francilienne : un rendement perfectible au regard du potentiel plutôt élevé », Île-de-France à la page, n° 345, octobre, Paris : Insee.
- Gallois, L. 2012. Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, rapport au Premier ministre, Paris : Premier ministre.
- Gilli, F. 2013. « Le Grand Paris, une métropole en marche ? », Métropolitiques, 30 janvier.
- Melo, P., Graham, D. et Noland, R. 2009. « A meta-analysis of estimates of urban agglomeration economies », Regional Science and Urban Economics, n° 39, p. 332‑342.
- Pecqueur, B. et Zimmermann, J.‑B. 2004. « Introduction : les fondements d’une économie de proximités », in Pecqueur, B. et Zimmermann, J.‑B. (dir.), Économie de proximités, Cachan : Lavoisier – Hermès Science, p. 13‑41.
- Région Île-de-France. 2011. Stratégie régionale de développement économique et d’innovation, Paris : Région Île-de-France.
- Retailleau, B. 2010. Les Entreprises de taille intermédiaire au cœur d’une nouvelle dynamique de croissance, rapport de la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, février, Paris : La Documentation française.