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Entre mobilités et ancrages : faire territoire dans le périurbain

Le périurbain : un espace de relégation des ménages modestes et de repli sur soi de familles fuyant les autres ? Autant de clichés que cet ouvrage, après d’autres, contribue à mettre à mal, en montrant la profonde diversité des pratiques habitantes qui produisent ces nouveaux territoires urbains.

Recensé : Rodolphe Dodier (avec la collaboration de Laurent Cailly, Arnaud Gasnier et François Madoré). 2012. Habiter les espaces périurbains. Rennes : Presses universitaires de Rennes.

L’espace périurbain est à la mode dans les médias et s’inscrit aujourd’hui avec force dans le débat public. L’injonction à construire une ville plus durable interroge, en effet, des formes considérées comme dévoreuses d’espace ; les morphologies périurbaines sont réputées banales et répétitives ; enfin, les périurbains sont supposés être plus souvent tournés vers des comportements de repli sur soi et d’individualisme, et être plus sensibles, au moins certains d’entre eux, aux sirènes du Front national. Des recherches récentes – comme celles de Jean Rivière (2009) – ont fait justice de cette mauvaise réputation, en montrant tout l’éventail des comportements électoraux dans les communes situées aux portes des villes, la variété des contextes locaux et des déterminants des votes.

L’ouvrage coordonné par Rodolphe Dodier, fondé sur l’exploitation de près d’un millier d’enquêtes réalisées auprès de ménages périurbains de la France de l’Ouest, s’attache, lui aussi, à déconstruire cette image d’homogénéité et de fermeture sur soi attribuée à tort par certains auteurs à l’ensemble des habitants des communes périurbaines. Il le fait en s’appuyant sur une analyse précise de leurs mobilités domicile–travail, de leurs déplacements de chalandise et de leurs pratiques de loisirs, et une description fine des territoires de leur vie quotidienne et de leurs manières de faire société.

Retour sur les aspirations des périurbains

Les enquêtes menées par les auteurs autour de villes de différentes tailles de la France de l’Ouest confirment les résultats des recherches conduites dans d’autres régions françaises. Elles montrent en particulier que les ménages qui s’installent dans une commune périurbaine viennent de moins en moins souvent du cœur de l’agglomération, et que nombre d’entre eux ne peuvent être considérés comme des « parachutés », déracinés de villes qu’ils quitteraient à leur corps défendant pour s’installer de plus en plus loin du cœur de l’« urbanité », contraints et forcés par la hausse des coûts fonciers et immobiliers. Sans nier le poids des contraintes économiques qui conduisent les ménages des catégories moyennes et populaires solvables à s’éloigner de la ville en quête de confort spatial, les auteurs observent que les mobilités résidentielles des périurbains s’inscrivent le plus souvent dans un périmètre restreint, ce qui leur permet de garder une partie de leurs repères et de leurs habitudes, voire de continuer à fréquenter les mêmes lieux. Pour les catégories modestes en particulier, il s’agit de « rendre le déménagement le moins coûteux possible sur le plan social » (p. 44), de préserver le réseau des solidarités familiales, essentielles pour la garde des enfants comme pour l’aménagement de la maison.

Dans leur exploration du modèle pavillonnaire périurbain, les auteurs retrouvent sans surprise l’essentiel des conclusions des travaux menés au début des années 1960 dans des quartiers pavillonnaires de grande banlieue [1]. Dans les stratégies résidentielles des ménages, le souhait de devenir propriétaire là où on en a les moyens et le désir d’une vraie maison individuelle viennent à égalité, pour assurer à la famille une surface suffisante, souvent dans une trajectoire de consolidation des positions professionnelles. Mais alors que les ménages des catégories populaires, plus souvent d’origine rurale, sont à la fois plus attachés à la tenue de l’intérieur et sensibles à la possession d’un jardin, qui permet de passer des vacances estivales plus agréables, les périurbains plus aisés mettent plutôt l’accent sur la qualité du paysage et de l’environnement, la mobilisation de la nature comme ressource, en particulier pour le bien-être des enfants. Des enquêtes réalisées dans la France de l’Ouest, il ressort aussi que les discours anti-urbains sont rares, contrairement aux thèses développées, par exemple, par Jacques Lévy (2003) – pour qui le choix périurbain témoigne d’un rejet ou d’un refus de l’urbanité et de l’altérité – ou Jacques Donzelot (2009) – qui décrit la périurbanisation des classes moyennes comme une sécession en quête de l’entre-soi.

La diversité des habitus et des figures de périurbains

Pour un certain nombre de ménages, l’image d’une sociabilité villageoise plus ouverte a constitué un facteur d’attraction. Même si ce mythe du village convivial est souvent écorné à l’épreuve de la vie périurbaine, il reste que les pratiques spatiales à l’intérieur du village sont plus intenses que dans un quartier urbain : l’école, les commerces de proximité, mais aussi les activités sportives et culturelles locales permettent de tisser des réseaux intégrant les nouveaux arrivants. De nouvelles proximités se construisent, distinguant un « habitus populaire » – marqué par une pratique intense des espaces villageois, un fort sentiment d’appartenance à un territoire, un rapport à la ville plus distendu, tant pour le travail (situé plus souvent en périphérie) que pour les loisirs des adultes et des enfants, une perception plus négative de la mobilité, compte tenu de son impact sur les budgets – d’un « habitus cultivé », où sensibilité écologique et souhait de contrôler l’environnement immédiat poussent à l’ancrage local, alors que les compétences spatiales acquises et des programmes d’activité plus riches conduisent au maintien d’une fréquentation plus intense du centre-ville.

La combinaison des pratiques quotidiennes des individus et de leurs trajectoires résidentielles conduit les auteurs à distinguer trois grandes familles de comportements parmi les périurbains. Il s’agit d’abord de « figures équilibrées » – de loin les plus nombreuses – , vivant bien leur condition périurbaine, qu’il s’agisse de « navetteurs », résidant plus souvent en première couronne périurbaine, se partageant entre une pratique utilitaire de l’espace local et un recours quotidien aux ressources de la ville, de « villageois », plus ancrés dans un voisinage où certains sont installés de longue date, ou de « périphériques », que leurs déplacements de travail, de chalandise ou de loisirs conduisent à fréquenter quotidiennement les marges de la ville. Les auteurs soulignent ensuite l’existence de « figures de souffrance », qui sont caractérisées par un repli sur la commune, voire le logement, et plus fréquentes parmi les périurbains modestes résidant loin des pôles urbains, en particulier les conjointes femmes renonçant alors souvent à l’emploi, du fait de leur éloignement de la ville. Enfin, et à l’inverse, certains périurbains renvoient à des « figures métapolitaines », allant des « hyper-mobiles », appartenant plus souvent aux catégories aisées, multipliant les déplacements lointains (professionnels, départs en week-end ou en vacances) à côté d’une fréquentation utilitaire du village où leur ancrage demeure faible et superficiel, aux « multi-compétents », qui vont chercher les ressources là où elles se trouvent, et dont les pratiques spatiales combinant de nombreux échelons montrent les capacités d’insertion tant au village qu’en ville. L’analyse de la distribution spatiale de ces différentes figures conduit les auteurs à mettre en avant un effet de taille des villes : alors que les « périphériques » se rencontrent plutôt dans les couronnes périurbaines des villes petites et moyennes, les « multi-compétents » sont plus nombreux autour des plus grandes villes, à la fois du fait de leur profil social (un marché du travail plus qualifié) et de la diversité de l’offre des métropoles, qui nécessite des compétences spatiales plus nombreuses.

Ces observations peuvent-elles être généralisées, ou s’appliquent-elles plus particulièrement à un modèle périurbain de la France de l’Ouest, à des villes et des couronnes périurbaines où les extrêmes de la hiérarchie sociale sont, au total, assez peu représentés ? Après plusieurs décennies d’expansion des couronnes périurbaines, le moment est venu de penser la diversité de leurs morphologies, en relation avec les profils socio-économiques des systèmes urbains régionaux, et avec des formes différentes d’implantation du peuplement. Venant après des travaux portant sur d’autres régions, cet ouvrage confirme qu’il n’y a pas un espace périurbain, mais différents types d’espaces et de populations qui ne se réduisent pas à leur distance à la ville. Il est temps de dépasser une vision simplificatrice des sociétés périurbaines, et d’admettre qu’elles participent à la fois à la fabrication de ségrégations et à la construction de nouvelles manières de vivre ensemble.

Balançant entre la promotion du lien social et le chacun pour soi, les périurbains sont-ils si différents des habitants des quartiers urbains ? Les gentrifieurs des centres-villes d’aujourd’hui ne sont-ils pas, pour certains d’entre eux, de futurs périurbains ? Entre deux modèles, celui du confort spatial périurbain et celui de la centralité urbaine, l’alternance est-elle affaire de génération, comme le suggérait Herbert J. Gans (1967), ou de succession dans le cycle de vie des individus et des familles ? Explorant les modes d’habiter des périurbains d’aujourd’hui, cet ouvrage apporte une contribution significative à un débat trop souvent occulté par la seule considération des coûts de l’étalement urbain.

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Pour citer cet article :

Martine Berger, « Entre mobilités et ancrages : faire territoire dans le périurbain », Métropolitiques, 11 janvier 2013. URL : https://metropolitiques.eu/Entre-mobilites-et-ancrages-faire.html

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