À l’heure où tous les projecteurs scientifiques et politiques semblent braqués sur la question métropolitaine, Métropolitiques a choisi de consacrer un dossier aux villes moyennes. Loin des clichés sur leur irréversible marginalisation, ces villes représentent invariablement, depuis quarante ans, environ 20 % de la population et 30 % des citadins du pays. Leur rôle de centralité administrative et de gisement de ressources pour l’espace rural a durablement structuré le territoire français. Par ailleurs, dans un pays marqué par le rôle prééminent de la capitale et par la faiblesse relative des grandes villes, la notion de « ville moyenne » s’est imposée tout à la fois comme un champ d’étude de la géographie urbaine [1], une figure classique du discours politique et une catégorie à part entière de l’aménagement du territoire. La plupart de ces villes sont regroupées dans la Fédération des villes moyennes (FVM), qui exerce un lobbying discret mais efficace.
Si elles sont profondément enracinées dans le récit territorial national, les villes petites et moyennes sont l’objet de dynamiques complexes et contrastées. Depuis une vingtaine d’années, le double mouvement de mondialisation–métropolisation a remis en cause leur modèle et leur échelle de polarisation, tout en fragilisant leur base résidentielle et productive. En effet, plusieurs de ces villes ont été durement touchées par les délocalisations et les fermetures de services liées à la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Toutefois, loin des visions catastrophistes trop largement diffusées, le repli démographique et la déprise économique ne sont ni une constante ni une fatalité. Ils concernent au premier chef des villes monofonctionnelles situées dans les territoires les plus fragilisés par la mondialisation, notamment à l’est et au centre du pays. En outre, les capacités d’adaptation des villes moyennes aux mutations en cours ne sont pas négligeables. Le développement de la sphère présentielle [2], notamment à travers le tourisme, mais aussi la résistance de l’économie de proximité et la relative pérennité de leur fonction d’encadrement, contribuent à une certaine résilience de ces villes face à la crise.
Force est toutefois de constater la grande diversité des situations locales. Si les villes petites et moyennes connaissent des trajectoires contrastées, c’est que celles-ci sont largement déterminées par les systèmes territoriaux au sein desquelles elles s’inscrivent. En particulier, leur capacité à exercer des « fonctions d’intermédiation » (De Roo 2010), à l’interface entre aires métropolitaines et espaces de faible densité, est une condition nécessaire de leur intégration dans des dynamiques productives et/ou résidentielles favorables. À l’instar de la DATAR [3], plusieurs chercheurs privilégient, d’ailleurs, la notion de « villes intermédiaires » pour appréhender cette mise en réseau à différentes échelles.
Toutefois, les rapports aux métropoles, entre dépendance, concurrence et complémentarité, demeurent ambigus, voire conflictuels. La question de l’enseignement supérieur en offre un exemple saisissant. D’un côté, la récente polémique au sujet du projet de fermeture de l’antenne de Béziers de l’université Paul-Valéry de Montpellier a rappelé que la pérennité des implantations en ville moyenne dépendait en grande partie de la métropole voisine. De l’autre, le succès relatif mais réel du campus autonome d’Albi, lié notamment à sa forte intégration au tissu économique local et à un soutien politique sans faille, montre qu’il est possible de se différencier « par le haut ».
Après plusieurs décennies d’interventions velléitaires de l’État, des « contrats de villes moyennes » dans les années 1970 aux systèmes productifs locaux en passant par le développement des pays, regroupant des communes rurales autour de petites villes, les politiques publiques doivent prendre la mesure de ces nouveaux enjeux (Béhar 2011 ; Santamaria 2012). En effet, comme le rappelle le maire de Nevers, les responsables des villes moyennes sont confrontés à des choix stratégiques difficiles, entre spécialisation et maintien de fonctions généralistes, proximité et mise en réseau, excellence et équité territoriales. Venant à la suite de plusieurs initiatives [4], donnant la parole aux chercheurs comme aux élus, ce dossier rappelle que ces villes restent des objets stimulants pour la recherche urbaine et qu’elles ont plus que jamais besoin de regards renouvelés et d’expertises diversifiées.
- « Pourquoi et comment analyser les villes moyennes ? », Christophe Demazière
- « Nevers–Créteil : chronique d’un dialogue entre une ville moyenne et un laboratoire de recherche », Jean‑Claude Driant, Florent Sainte Fare Garnot et Régis Bertrand
- « Les villes moyennes, des espaces privilégiés de la consommation locale », Magali Talandier
- « Quel avenir pour les établissements universitaires de ville moyenne ? L’exemple d’Albi », François Taulelle
- « Le tourisme dans les villes moyennes : vers des politiques coordonnées ? », Marie Delaplace
- « L’action publique dans les petites villes françaises. Mimétisme ou innovation ? », Jean‑Charles Édouard
- « Les villes moyennes face à la présence touristique. De l’engagement des élus aux représentations des habitants », Elsa Martin
- « Les slumdog non-millionnaires. Petites et moyennes villes indiennes en marge du développement urbain », Rémi de Bercegol et Shankare Gowda