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Marseille, capitale de la culture 2013 – et après ?

Célébrée « capitale européenne de la culture » en 2013, la région Marseille–Provence saura‑t‑elle faire de l’événement un levier de développement économique, social et politique ? Le géographe Boris Grésillon questionne la capacité des stratégies culturelles à opérer de grandes transformations métropolitaines.

Recensé : Boris Grésillon. 2011. Un enjeu « capitale » : Marseille-Provence 2013, La Tour‑d’Aigues : Éditions de l’Aube.

Le petit essai de Boris Grésillon, paru en 2011, mérite qu’on revienne un instant sur son propos alors que débutent les festivités de Marseille 2013 Capitale européenne de la culture, suscitant dans la presse des appréciations très contrastées. On connaît les travaux précédents de ce géographe, notamment ceux consacrés à Berlin, aux villes d’Allemagne orientale ou aux villes « culturelles » de la Méditerranée (Grésillon 2002, 2010, 2011). Il y interroge la fonction de la culture dans son rapport à la métropolisation et aux politiques urbaines : à la fois critère de distinction dans les stratégies désormais convenues de la ville créative, mais aussi, de manière plus originale, analyseur des recompositions socio-spatiales et révélateur de lignes de fracture.

Dans ce livre, Boris Grésillon propose trois angles d’analyse. Il aborde successivement la genèse du projet (récit du concours, examen du contenu de l’offre), les acteurs (culturels, économiques et politiques) de la candidature et les lieux de déploiement de l’offre culturelle, puis le rôle de cet événement comme « accélérateur de métropolité », autrement dit le potentiel de ces politiques culturelles à infléchir la trajectoire économique et sociale marseillaise. Suivent une conclusion et un épilogue se voulant prospectif. À vrai dire, on aurait apprécié que ce dernier s’inscrive davantage dans le corps du texte car l’auteur y propose une grille d’analyse stimulante comparant Marseille à ses devancières, éphémères capitales culturelles de l’Europe. Il s’attarde notamment sur l’exemple de Lille qui a très largement su rebondir sur Lille 2004 et passer de l’événement ponctuel à une sorte de régime métropolitain d’innovation basé sur le culturel. Le livre repose sur un matériau original, en particulier des entretiens fort instructifs avec trois acteurs majeurs du processus [1], insérés sous la forme d’encadrés dans le texte, et une série de représentations cartographiques.

Les trois défis de Marseille

Le bilan prospectif que tire Boris Grésillon de ces éléments souligne la tension entre l’élan qu’a donné à Marseille le choix du jury européen [2] et les défis très lourds et assez largement non résolus qui demeurent. Selon l’auteur, s’ils ne devraient pas entraver le déroulement de l’événement, ils risquent néanmoins de limiter la dynamique post‑2013. Ces défis et problèmes sont de plusieurs natures.

Tout d’abord, même si la métropole a réussi à « capitaliser » sur l’année culturelle pour combler des lacunes criantes en matière d’équipement culturel, le risque est pour elle de se retrouver ensuite avec des coquilles vides sans financement pérenne pour les faire fonctionner. La crise économique est passée par là, mais on peut aussi pointer le fait que les édiles ne semblent pas vraiment voir l’intérêt de la culture comme instrument économique et politique, au-delà du tourisme.

Deuxième grand défi : les habitants et une partie des artistes locaux ont du mal à se retrouver dans un événement quelque peu formaté et en mal d’authenticité et d’ancrage, en rupture avec les aspirations d’une population diverse et, au final, peu et mal mobilisée autour de l’événement [3].

Enfin, le dernier défi est celui de la métropole introuvable. Grésillon montre qu’au-delà de la façade unie présentée pour l’emporter, les vieilles rivalités et concurrences locales sont plus que jamais présentes, entre Aix-la-bourgeoise et Marseille-la-populaire, entre Arles tournée vers le Rhône et surtout Toulon, préfecture du Var. Le projet de l’État d’imposer autoritairement un regroupement plus large que la communauté urbaine actuelle pourrait susciter des résistances qui feraient perdre les acquis de l’expérience.

À cet égard, on ne peut s’empêcher de regretter que Grésillon ne cite pas le livre trop peu lu de Marcel Roncayolo, L’Imaginaire de Marseille : port, ville, pôle, paru en 1990 [4], tant le projet de cet ouvrage lui fait écho. Il se conclut justement par l’évocation de cette difficulté des élites urbaines à concevoir un projet métropolitain, à fédérer dans une vision commune la ville portuaire et ce que Roncayolo nomme les territoires du proche, à regarder au-delà des collines du nord comme dit Grésillon. La relecture de Roncayolo aurait permis de réinscrire ce défi dans sa longue durée en le reliant à l’éclatement de l’imaginaire marseillais dont parle le maître des études urbaines. Ainsi, il serait possible de mieux préciser la nouveauté des enjeux auxquels est confrontée aujourd’hui Marseille. Cela aurait également permis de questionner le degré d’innovation que comporte la phraséologie incantatoire mais quelque peu mécanique de la ville créative, qui semble n’être que l’avatar le plus récent de la rhétorique aménageuse. Relisons justement ce que dit Roncayolo : « L’image de marque d’une ville, celle que l’on vend aux “étrangers” (le contraire des locaux), est une chose : affaire de publicité et de marketing. L’imaginaire de la ville, fondé dans la ville elle-même, sécrété par la société, fait d’observations, d’expériences et aussi de généralisations, induisant des conduites, est un enjeu autrement sérieux, capable d’en imposer à son tour aux images de marque. C’est l’intérieur d’abord qui peut être changé. » (Roncayolo 1990, p. 296). Ce retour vers l’histoire récente ne permettrait‑il pas aussi d’observer de troublantes analogies, entre les formes étranges de ce MuCEM [5] ou de la Villa Méditerranée se mirant dans le bassin de la Joliette et l’immense complexe sidérurgique du littoral de Fos, entre les rêves et les mythes alimentés par ces deux cathédrales de la croissance économique ?

Sur un autre plan, là aussi en continuité avec Roncayolo, on saura gré à Boris Grésillon de rappeler que la vocation euro-méditerranéenne de Marseille signifie non seulement une ouverture assumée vers l’autre rive de la mer partagée, mais aussi une démarche d’insertion dans l’Europe, à l’écoute de ses artistes, bien sûr, mais aussi de ses habitants qui ne sont pas que des touristes. Une écoute de ses cultures en mouvement en somme.

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Pour citer cet article :

Éric Verdeil, « Marseille, capitale de la culture 2013 – et après ? », Métropolitiques, 8 février 2013. URL : https://metropolitiques.eu/Marseille-capitale-de-la-culture.html

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