Quelles sont les principales différences dans le traitement de la question du logement entre les années 1970 et aujourd’hui ?
La question du logement n’était pas du tout traitée de la même manière dans les années 70 et aujourd’hui car on était encore dans les logiques de réserve suite à la crise du logement de l’après-guerre. On produisait des logements en masse. Aussi la question des flux d’entrée ne se posait-elle pas, tout simplement car les demandes étaient absorbées par la production de logements. La question des flux a commencé à se poser de façon différente quand on s’est aperçu que les ménages restaient dans les logements sociaux et qu’il n’y avait pas ou très peu de rotation locative. La liste de demandes de logements sociaux a alors commencé à s’allonger. Et, au même moment, le rythme de construction ne permettait plus d’absorber l’augmentation des demandes. Un décalage entre le flux de demandes et le flux de production est alors apparu. Le second grand changement qui différencie ces deux périodes de temps est l’apparition des personnes sans domicile fixe (SDF). Jusqu’aux années 2000, on ne distinguait pas les SDF des mal-logés. On a beaucoup travaillé pour montrer que les deux choses n’étaient pas identiques.
Vous défendez l’idée que, aujourd’hui, il n’y a pas de crise quantitative du logement, mais une crise qualitative, avec 3 millions de mal-logés et 100 000 personnes sans logement. Pouvez-vous nous donner les raisons qui vous poussent à affirmer cela ?
Avec 350 000 à 400 000 logements annuels construits, on ne peut pas dire qu’il y ait une crise quantitative du logement en France puisque le parc de logement croît d’environ 1 % par an. Cependant, il y a bien crise puisque toutes les catégories de la population sont touchées et confrontées à des difficultés à se loger dans le secteur locatif. La crise provient du fait que les trois quarts de la croissance du parc de logement sont absorbés par l’accession à la propriété et que le quart restant est destiné principalement au secteur locatif social. Sachant que 45 % des locataires en France sont logés en logement social, ce sont 55 % des locataires qui se trouvent confrontés à des difficultés de logement. Et si ces personnes sont mal logées, elles ne peuvent pas changer de logement puisqu’il n’y en a pas de mis à leur disposition. À cela s’ajoute le fait que les bailleurs sont très exigeants (même dans le parc social) et demandent des garanties très importantes. Le problème du logement est donc lié au secteur locatif et touche les mal-logés mais aussi toute personne qui pourrait se loger mais qui ne veut pas accéder à la propriété. On peut dire qu’il existe en France une incitation très forte à accéder à la propriété.
Ainsi, selon vous, il n’y a pas de crise de logement mais une crise du secteur locatif, notamment parce qu’elle touche tous les pans de ce secteur et de la société. Pouvez-vous revenir sur les propositions que vous avez faites pour résoudre ce problème de crise qualitative ?
La première chose à dire est que l’on a tous fait le constat de l’échec de la politique du logement actuelle. Il est donc nécessaire d’en changer et c’est pourquoi nous proposons une nouvelle logique.
On sait qu’il y a en France entre 1,5 et 2 millions de ménages mal logés et 100 000 personnes sans domicile fixe. On sait également que le rythme de construction de logements sociaux ne parviendra pas à résoudre quantitativement l’ampleur du problème, d’autant plus que le stock de ménages pauvres enregistre la même progression annuelle. Or, il y a deux millions de logements qui se libèrent chaque année et 40 000 logements sociaux mis sur le marché. Ce que je propose est simple. Au lieu de s’appuyer essentiellement sur les 40 000 logements sociaux nouveaux, il faut utiliser les deux millions de logement offerts chaque année. Il suffit donc de trouver un moyen pour mobiliser ces deux millions de logements dans un souci d’équité sociale et spatiale et de permettre aux plus pauvres d’accéder à l’ensemble du parc locatif et pas seulement les cantonner au parc social. Selon moi, il suffit de renouveler ce qu’on appelle le contrat de confiance entre les bailleurs et les locataires, et pour cela je propose de faire intervenir l’État dans le système.
La proposition que je fais, avec d’autres, est simple : mettre en place un système où, quand un ménage pauvre demande à louer un logement : 1) il soit prioritaire ; 2) l’État paie directement le loyer au propriétaire, rassurant ainsi le propriétaire ; 3) le locataire soit redevable de son loyer à l’État (déduction faite de son aide au logement). Dans ce système, le bailleur officiel serait donc l’État, qui passerait un contrat avec le locataire. Cette proposition change tout, car le logement social serait ainsi déterminé non pas par le mode de financement de sa construction, mais par son mode d’occupation. Ainsi, tout logement pourrait devenir un logement social (temporairement ou de manière permanente), puisque c’est la situation du locataire qui déterminerait le statut du logement social. Le statut d’occupation serait donc défini par l’occupant et non pas le logement.
Un des avantages de votre proposition semble être la possibilité pour le locataire de changer de logement et d’être plus flexible face au marché du travail.
Il est clair que, avec ce système, le locataire pourra plus facilement quitter son logement lorsque le besoin s’en fait sentir (proposition de nouvel emploi, élargissement de sa famille), entretenant ainsi la mobilité au sein du parc locatif. Le locataire pourra évidemment accepter plus facilement un emploi qui serait éloigné de sa résidence du moment et augmenter sa mobilité d’emploi. Il sera ainsi un peu moins contraint par son choix résidentiel.
Mais cela ne risque-t-il pas de coûter très cher à l’État ?
Nous avons fait le calcul avec Yankel Fijalkow. Si on considère le chiffre de 3 millions de mal-logés, soit environ 1,5 million de ménages, et que l’on applique l’aide moyenne (elle est actuellement de 3 000 € à ce million et demi de mal-logés, en considérant qu’aucun n’avait jamais eu d’aide) cela coûterait à l’État entre 40 % et 50 % du montant actuel des aides à la pierre (dont une partie sont des aides à l’accession).
Quel serait le pouvoir du propriétaire dans ce nouveau système ?
Relativement simple. Le propriétaire aura le choix, s’il a des ménages prioritaires, de choisir celui qu’il préfère. Mais s’il y a un ménage prioritaire et un autre ménage, il devra prendre le ménage prioritaire et percevra le loyer de la part de l’État.
Mais pensez-vous que les propriétaires accepteraient de mettre ainsi leur bien à la location ?
C’est une vraie question. Avec la garantie de loyer, les propriétaires auront intérêt à mettre à leur logement à la location et cela permettra de casser un peu la discrimination sociale dans l’accès au logement. De plus, l’État pourra en profiter pour modifier le système de l’impôt sur la plus-value en rendant la location plus rentable que la vente. Mais, effectivement, il y aura toujours des propriétaires qui se méfieront et ne voudront pas louer leur bien. Le point clef de ma proposition est de casser les filières sociale et non sociale, en définissant le logement en fonction du type de ménage occupant et non plus en fonction de son mode de construction. Il faut rendre le système plus flexible.