Serait-ce la plus grande ville du monde ? En quelques décennies, l’agglomération de Chongqing, port fluvial, nœud ferroviaire et routier, et capitale régionale de la province du Sichuan, au centre de la Chine, n’a cessé de franchir des seuils spectaculaires : 1, 3, 4 puis 9, voire 13 millions d’habitants selon les sources et les méthodes du décompte ; mais la municipalité, c’est-à-dire l’aire administrative, en compte plus de 32 millions, sur une surface équivalente à celle de l’Autriche. Des statistiques à donner le vertige à tout regard européen. Mais est-ce encore une ville ? L’agglomération géante, dont l’unité urbaine, au cœur d’un territoire montagneux strié d’infrastructures, a dépassé les 1 500 km2 en 2016, et l’aire urbaine compteraient plus de 5 000 km2 – soit cinquante fois la superficie de Paris. La crise de la fin des années 2000, celle de la pandémie en 2020, ne semblent guère avoir ébranlé cette croissance spectaculaire.
Chongqing est un pôle de production industrielle majeur à l’échelle mondiale, dans plusieurs secteurs dont la métallurgie, la chimie, l’automobile, et bien sûr l’électronique et l’informatique – le numérique. On y fabrique des ordinateurs, tablettes et autres terminaux par dizaines de millions à l’année.
Héritant d’une histoire millénaire, Chongqing bénéficie d’une situation géographique avantageuse, en tant que port fluvial connectant l’intérieur des terres de ce pays d’échelle continentale à son littoral oriental. Point de passage, nœud d’échanges, elle a pris le rôle, lors de la guerre d’invasion japonaise des années 1930, de capitale provisoire de la Chine. Cet épisode a favorisé et accéléré son développement industriel et financier. En 1997, Chongqing a acquis de nouveau un statut administratif et politique spécial, en lien avec le projet titanesque du plus grand barrage hydroélectrique du monde, le barrage des Trois-Gorges. La ville, avec son territoire environnant, est devenue la quatrième « municipalité » du pays – comme Shanghai, Pékin et Tianjiin avant elle – placée sous l’autorité directe du pouvoir central – ce qui l’a séparée de la province environnante du Sichuan, encore à dominante agricole. Mené des années 1990 à 2010, le chantier du barrage des Trois-Gorges a conduit au déplacement forcé de 1 à 2 millions de personnes (selon les sources), amplifiant hors de toute comparaison le mouvement de transfert démographique des campagnes et des vallées vers les espaces urbains et en cours d’urbanisation, à proximité de l’agglomération.
Durant trois décennies, cette accélération planifiée par le pouvoir central, à des milliers de kilomètres, a remodelé la géographie du territoire de Chongqing, bouleversé les milieux de vie de ses habitants et métamorphosé ses paysages et ses conditions d’expérience. Les rives du fleuve Yangzi se sont couvertes de dizaines de gratte-ciel et les collines environnantes, de bâtiments de grande hauteur, en particulier de logements collectifs construits par centaines de milliers. Plusieurs artistes, dont le cinéaste Jia Zhangke, ont fait connaître au public occidental des échos et des témoignages, par le documentaire ou la fiction, de ces irréversibles transformations. Mais comment appréhender le présent et l’avenir de ces lieux de vie, à l’échelle de leurs habitants ? Comment en décrire les aspects quotidiens, et les espaces ordinaires ?
Pour en parler, nous recevons aujourd’hui Martin Minost, anthropologue au laboratoire Centre Chine de l’EHESS, enseignant dans les Écoles nationales supérieures d’architecture de Paris La Villette et Paris Malaquais. Il a mené des séjours réguliers, d’étude et de recherche, à Chongqing depuis 2012.
© Martin Minost
Bibliographie
- Bailet, P. 1999. « Chongqing : laboratoire géant pour la Chine du tiers-monde », La Revue des Deux Mondes.
- Elosua, M., Ged, F. et Yang, C. 2020. « Logements sociaux à Chongqing et à Shanghai. Corollaires de l’“urbanisation” rurale et de la financiarisation foncière », Les Cahiers de la recherche architecturale urbaine et paysagère, n° 8.
- Heckmann, A. 2005. « Dynamiques urbaines : la Municipalité de Chongqing », L’information géographique, vol. 69, n° 1, 2005, p. 17-38.
- Madlen, K. 2019. « Keeping Warm in Subtropical Winter. When Everyday Life Disrupts the Concept of Hyper-Conditioned Environments in Chongqing (Southwest China) », Les Cahiers de la recherche architecturale urbaine et paysagère, n° 6.
- Minost, M. 2024. « Beyond the Visuality of Western Architecture. The Chinese Home from Inward haven to Outward Representation », Visual Studies, vol. 39, n° 1-2, p. 33-46.
Filmographie
- Wong Kar-Wai 1994. Chungking Express, 102 min.
- Wang Xiaoshuai 2010. Chongqing Blues, Films Sans Frontières, 105 min.
- Jia Zhangke 2006. Still Life, AD VITAM/MK2, 108 min.
Pour citer cet article :
, « Carnets de villes – Chongqing », Métropolitiques , 8 décembre 2025. URL : https://metropolitiques.eu/Carnets-de-villes-Chongqing.htmlDOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.2234


























