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Débats

L’expérience du « test climat » dans les métropoles québécoises

Au Québec, les grands projets d’aménagement font l’objet de « tests-climat », en amont des processus de décisions. Comment certains mouvements d’opposition se saisissent-ils de cet outil scientifique afin de remettre en question les choix menant à leur réalisation ?

Au Québec, ces dernières années, la notion de test climat a été évoquée par plusieurs acteurs et paliers gouvernementaux. En 2018, la ministre de l’Environnement de la province du Québec promettait que les projets industriels d’importance feraient l’objet d’un test climat « avant même d’être autorisés » (Shields 2018). Cinq ans plus tard, l’idée a été reprise par un parti d’opposition, Québec Solidaire, qui proposait d’étendre cette obligation à tous les projets d’infrastructure (Pilon-Larose 2023). Dans les deux cas, l’objectif affiché était clair : « intervenir en amont des projets afin d’évaluer et de minimiser les émissions de gaz à effet de serre (GES) » (Gouvernement du Québec s. d.).

La notion de « test climat » a également été utilisée à l’échelle métropolitaine. D’une part, sous la pression citoyenne, des organisations non gouvernementales ont élaboré leur propre test climat pour évaluer des projets estimés problématiques, comme le REM [1] (métro léger automatisé de la région métropolitaine de Montréal) ou le troisième lien (tunnel routier reliant les villes de Québec et Lévis). D’autre part, des villes, dont Montréal et Québec, se sont emparées de l’outil pour opérationnaliser la mise en œuvre de leur plan climat dans les processus d’élaboration de certains projets d’envergure.

L’origine des tests climat remonte au début des années 2010, avec l’un des premiers logiciels de calcul des émissions de GES : CalEEMod® pour California Emissions Estimator Model. L’idée d’évaluer les émissions de GES des projets, et plus largement leurs impacts, se diffuse en Amérique du Nord et inspire certaines villes. À la fin des années 2010, Boston, New York et Portland (figure 1) adoptent des outils pour mettre en œuvre leur stratégie de transition (French et al. 2018). Ces initiatives sont communément désignées comme des climate tests.

Figure 1. Repères de l’émergence des tests climat

© les auteurs.

Cet article retrace la mise en place des tests climat au Québec par les acteurs provinciaux, municipaux et associatifs. Il cherche à comprendre leurs finalités et détaille les raisons et les perspectives de leur multiplication.

Le test climat comme outil d’opposition

L’une des premières utilisations de test climat au Québec est à l’initiative du collectif non gouvernemental Coalition Climat Montréal contre le projet du REM, officiellement annoncé en 2016. Il fait rapidement l’objet d’une opposition qui critique son coût, ses effets sur le système de transport existant et son impact environnemental. Sur ce dernier point, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), responsable de la conception et de la réalisation des travaux, conduit une évaluation qui ne convainc pas : plusieurs acteurs scientifiques et associatifs demandent une contre-expertise dans le cadre d’un « vrai “test climat” » (Boisvert et al. 2017). En 2017, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement relaie ces inquiétudes [2]. Dans ce contexte, en mai 2018, deux chercheurs publient un test climat sur le REM à la demande du Syndicat canadien de la fonction publique et de l’association Coalition Climat Montréal, dont la conclusion – s’appuyant sur une analyse des effets du REM sur l’environnement et sur la tarification du réseau de transports – est radicale : « le REM doit être annulé » (Gagnon et Lefebvre 2018).

Les opposants au REM reprochent alors aux autorités de ne pas appliquer sérieusement les objectifs de réduction des émissions de GES en ne respectant pas les procédures d’évaluation de test climat que la ministre de l’Environnement avait elle-même associées à la Loi sur la qualité de l’environnement, dans son Règlement relatif à l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement de certains projets. Avec cet outil, jusque-là mobilisé par les porteurs de projets gouvernementaux, les opposants ont démontré une rigueur scientifique, et abouti à des conclusions opposées à celles de la Caisse des dépôts (CDPQ). Malgré quelques réactions dans la presse (Le Reflet 2018), cette démarche n’a toutefois pas eu les effets escomptés puisque le premier tronçon du REM a été inauguré en 2023.

Un scénario similaire s’est déroulé à Québec où le projet du troisième lien, un tunnel routier entre les rives du Saint-Laurent, suscite la controverse. La relance du projet par les autorités politiques au milieu des années 2010 a ravivé les débats sur la faisabilité technique et la nécessité de cet investissement au regard de son impact environnemental. En 2022, l’organisme à but non lucratif Équiterre a publié un test climat supervisé par Annie Chaloux (Brazeau et Chaloux 2022), professeure à l’Université de Sherbrooke. Les conclusions sont fermes : le troisième lien, décrit comme « un projet idéologique », « ne passe pas le test climat ». Cette fois, le test climat étend l’analyse à des nouvelles thématiques (l’adaptation aux changements climatiques, la justice sociale et la gouvernance), « fruit de la fusion et de l’adaptation de ceux utilisés par Infrastructure Canada, par le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) et par C40 Cities [3] dans son Climate Action Planning Framework : l’atténuation des émissions de GES, l’adaptation et la résilience, la justice sociale et la saine gouvernance » (p. 34). Le choix des indicateurs a également été établi sur la base de travaux issus du « ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC), Infrastructure Canada, l’organisation Vivre en ville et son initiative Collectivités viables, la Banque mondiale ainsi que des chercheur(euse)s en mobilité durable » (p. 35). Malgré la couverture médiatique du test produit par Équiterre (figure 2) et les nombreux débats sur la nécessité d’une telle infrastructure, ce projet est toujours d’actualité pour le gouvernement en place qui l’a de nouveau relancé en juin 2024 pour des raisons de « sécurité économique » (Porter et Carabin 2024).

Ces deux exemples illustrent le potentiel politique et contestataire du test climat. En invoquant des enjeux de durabilité dont la légitimité est considérée comme acquise et partagée, il permet de démontrer scientifiquement le non-alignement du projet avec cette trajectoire, pour conclure logiquement à son nécessaire abandon. La plasticité du test climat permet au concept d’être approprié par des opposants qui le mobilisent pour interpeller l’opinion publique – sans garantir pour autant l’annulation des projets.

Figure 2. Extrait du test climat d’Équiterre sur le projet de troisième lien entre Québec et Lévis

Pour chaque principe, des indicateurs sont notés, pondérés puis additionnés ; la note finale de 24/75 traduit l’incompatibilité du projet avec les objectifs de lutte contre la crise climatique.

Le test climat comme outil de prise de décision climatique

Les métropoles québécoises ont également perçu l’intérêt du test climat et cherchent à l’intégrer dans leur stratégie environnementale (Plan de transition et d’action climatique 2021-2025 pour la Ville de Québec et Plan climat 2020-2030 pour Montréal).

Depuis 2021, la Ville de Québec définit le test climat comme « un test préalable à tout projet consistant en une série de questions pour déterminer si l’initiative fait progresser la Ville de Québec dans les [...] défis collectifs de l’action climatique » (Ville de Québec 2021). L’outil prend la forme d’un questionnaire électronique d’aide à la décision, destiné aux équipes de la Ville. Ce test a surtout été mobilisé pour améliorer des projets dont la raison d’être était déjà reconnue – par exemple l’approche des « rues conviviales » de Québec (entretien avec un agent de la Ville de Québec, octobre 2023).

À Montréal, le test climat a une visée plus large. Conçu par son Bureau de la transition écologique et de la résilience de la Ville, il est censé accompagner les différentes unités administratives, dont le service de l’urbanisme et de la mobilité, lors de l’élaboration des projets évalués à plus de 50 M$, de leur justification jusqu’à leur livraison. En pratique, il s’appuie sur les processus décisionnels existants (différents comités avec ou sans élus) et sert avant tout de support au débat et au processus d’aide à la décision interne, ainsi que d’outil de reddition de comptes pour la Ville vis-à-vis de ses grands objectifs de réduction des émissions de GES.

Pour les projets inférieurs à 50 M$, l’alignement au plan climat de la Ville peut, en partie, être évalué à l’échelon infra-municipal (Audet et al. 2022). Le cas échéant, chaque arrondissement est libre d’employer la méthode qu’il juge la plus appropriée. Ces méthodes ne portent pas toutes le nom de test climat. L’arrondissement du Plateau-Mont-Royal utilise, par exemple, une « boussole de la transition », à savoir un tableur renseigné par les services internes qui se synthétise par un diagramme araignée (Romdhani et Audet 2022). L’arrondissement Rosemont – La Petite-Patrie utilise un « Formulaire de suivi de la contribution à la transition écologique » que doivent remplir les pétitionnaires de permis de construire (figure 3).

Figure 3. Extrait du formulaire de l’Arrondissement Rosemont – La Petite-Patrie

Le pétitionnaire doit calculer les surfaces imperméables, perméables et végétalisées avant et après son projet pour en évaluer la contribution aux objectifs de transition écologique de l’arrondissement.

Les tests climat de ces deux métropoles québécoises ont en commun de prolonger au niveau opérationnel les grandes orientations définies dans leur stratégie environnementale. Même si le test de Montréal intervient dès la décision d’engager le projet, ces outils s’exercent surtout dans le processus itératif de conception, lorsque les décisions à prendre ne sont plus « existentielles » pour le projet, ou a posteriori dans une logique de justification de l’action publique et de reddition de compte.

Par-delà le registre scientifique, une contribution au débat politique ?

Ces exemples montrent que les raisons pour utiliser les tests climat varient : ils sont tantôt utilisés pour s’opposer à un projet, tantôt pour justifier ou guider sa conception. La forme du test et les critères évoqués demeurent flexibles et s’adaptent aux objectifs poursuivis. Il y a, jusqu’ici, autant de tests climat que d’acteurs qui les réalisent.

Ces variations permettent de définir le test climat comme processus ou outil d’évaluation de la compatibilité d’un projet, d’une politique ou d’une décision avec des objectifs ou principes de durabilité définis dans une stratégie préalable. Les tests cités dans cet article se positionnent sur un spectre d’usages (figure 4), allant de la mise en débat d’un projet en amont de sa réalisation, jusqu’à la reddition de compte climatique, en passant par l’aide à la conception et la mise en conformité de projets avec ladite stratégie préalable.

Figure 4. Spectre des utilisations des tests climat au Québec

© les auteurs.

Deux registres se dégagent de ce gradient d’usages. Dans le premier, le test climat peut servir à interroger la raison d’être d’un projet ou d’une décision. L’outil trouve alors sa pertinence dans les phases amont des processus décisionnaires. C’est le cas des tests sur le troisième lien et sur le REM – qui n’ont cependant pas donné lieu à l’annulation des projets à ce stade. Le test ouvre alors un espace de débat politique sur l’opportunité de réaliser ou non un projet. Dans un second registre, le test est employé pour assurer la conformité d’un projet déjà acté avec la stratégie de transition du territoire. Dans ce cas, l’outil relève d’une aide à la conception ou à l’optimisation du projet. C’est ainsi qu’il est utilisé par les villes de Québec et de Montréal. Le test climat permet alors de faire évoluer le projet et de rendre des comptes.

En somme, le test climat revêt deux finalités majeures dans les débats sur l’avenir des territoires québécois. D’une part, il peut susciter des espaces de discussion inattendus, jugés utiles par certains groupes citoyens afin de maintenir un dialogue démocratique dans la mise en œuvre des politiques d’aménagement de l’espace – qu’il s’agisse de grandes infrastructures ou de projets urbains ou immobiliers. D’autre part, lorsqu’il est porté par les gouvernements locaux, l’outil peut s’ajouter aux règles en vigueur, s’affirmant comme un prisme de mise en conformité supplémentaire.

À mesure que s’institutionnalisent les tests climat, notons que les questionnements scalaires soulevés par Jégou et al. en 2012 s’accentuent : qui du gouvernement, des villes ou des arrondissements est le mieux placé pour garantir la cohérence des différents tests qui pourraient se mettre en place ? Tôt ou tard, les acteurs devront également articuler le test climat avec les outils d’urbanisme existants au Québec (Murer et al. 2024) : qui de la Loi sur la qualité de l’environnement ou de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme définira le champ d’application du test climat pour les projets urbains ou immobiliers ? En parallèle, le test climat deviendra-t-il un réflexe du débat politique en matière d’aménagement au Québec ? Si l’on peut s’interroger sur la capacité du test climat à diffuser l’objectivité scientifique dans le débat, on saluera néanmoins l’arène de discussion (Badouard et al. 2016) qu’il fait émerger.

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Pour citer cet article :

& & & & , « L’expérience du « test climat » dans les métropoles québécoises », Métropolitiques , 26 mai 2025. URL : http://metropolitiques.eu/L-experience-du-test-climat-dans-les-metropoles-quebecoises.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.2172

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